Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Le bon samaritain

Va et fais de même

Imiter le Christ

Origène, à propos du conseil donné par Jésus au légiste, parle d'imitation du Christ:

«Puisque nous avons cette gloire de pouvoir imiter en cela le Christ, de pouvoir compatir à ceux qui sont tombés dans les mains des voleurs, de pouvoir nous approcher d'eux, panser leurs blessures, y répandre l'huile et le vin, les charger sur notre propre monture, puisque nous pouvons porter leurs fardeaux, écoutons la parole qui nous est dite dans la personne de ce docteur: Va et fais de même. Comme s'il disait: Partout où vous verrez une souffrance, ne dites pas: c'est un méchant, c'est un étranger, c'est un ennemi: il souffre, cela suffit, il a droit à être secouru.»

 

Une relation mutuelle

Parler de prochain, c'est dire une relation mutuelle avec tous. En effet, celui qui est dans le besoin et envers qui nous avons à faire preuve de miséricorde, c'est tout homme. Tout homme est donc notre prochain. Et d'autre part, chacun peut se trouver dans une situation où il a besoin du secours des autres. Ceux qui pourraient nous secourir en cas de besoin sont donc aussi notre prochain. La miséricorde n'exclut donc personne et établit une relation mutuelle avec tous.

Augustin, De la doctrine chrétienne, I, 31-33:

«Et le Seigneur lui dit: Va et fais de même voulant nous laisser entendre que le prochain est celui envers qui on doit exercer la miséricorde, s'il est dans le besoin, ou qu'il faudrait soulager, si son indigence le réclamait. De là découle déjà cette conséquence, que celui dont nous sommes en droit d'attendre le même office est aussi notre prochain. Car le nom même suppose le rapport mutuel de deux êtres; nous ne pouvons être le prochain de quelqu'un, qu'il ne soit le nôtre. Or, qui ne voit qu'il n'est pas un seul homme qu'on ne doive soulager et secourir, quand ce devoir s'étend jusqu'aux ennemis mêmes, selon cette parole du Seigneur: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent?

Telle est aussi la doctrine de l'apôtre Paul, quand il dit: Ces commandements: tu ne commettras point d'adultère, tu ne tueras point, tu ne déroberas point, tu ne désireras point le bien d'autrui, et s'il y en a quelque autre semblable, tous ces commandements sont compris en abrégé dans cette parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour qu'on a pour son prochain ne souffre pas qu'on lui fasse aucun mal (Rm 13, 9-10). Penser que l'Apôtre n'a pas étendu ce précepte à tous les hommes, c'est être contraint d'avouer, ce qui est le comble de l'absurdité et du crime, qu'à ses yeux il n'y a point un péché à abuser de la femme d'un infidèle ou d'un ennemi, à le mettre à mort ou à convoiter son bien; si c'est folie de le prétendre, n'est-il pas incontestable qu'on doit regarder tout homme comme son prochain, puisqu'il n'est permis de faire de mal à personne?

Maintenant si le nom de prochain s'applique tant à celui envers qui nous devons exercer la miséricorde, qu'à celui qui doit la pratiquer à notre égard, il est de toute évidence que le précepte qui nous ordonne d'aimer le prochain, comprend par là même les saints anges, puisqu'ils nous donnent les preuves les plus frappantes d'une miséricordieuse compassion, ainsi que l'attestent un si grand nombre de passages des divines Ecritures. C'est d'après ce principe que le Seigneur notre Dieu a voulu être appelé lui-même notre prochain. Car Jésus-Christ s'est peint sous les traits du Samaritain secourant ce malheureux, abandonné sur le chemin par les voleurs, couvert de blessures et à demi-mort. Et le Prophète disait dans sa prière: J'avais pour chacun d'eux de la complaisance, comme pour un proche et pour un frère.

Mais comme la substance divine est élevée par son excellence bien au-dessus de notre nature, le précepte de l'amour de Dieu a été distingué de celui du prochain. Dieu exerce la miséricorde à notre égard par l'inclination de sa bonté, et nous la pratiquons les uns vis-à-vis des autres à cause de cette même bonté; en d'autres termes, Dieu a compassion de nous pour nous faire jouir de lui, et nous avons compassion les uns des autres pour mériter cette jouissance

 

Les œuvres de miséricorde

Augustin a souvent parlé des œuvres de miséricorde dans sa prédication, et les a très souvent liées au pardon des péchés que Dieu nous accorde. En effet, dans sa miséricorde, le Seigneur a racheté les hommes qui ont péchés en Adam. Et c'est sur nos œuvres de miséricorde: pardon des offenses et dons à ceux qui sont dans le besoin, que nous seront jugés au dernier jour; ces œuvres sont proches de celles que le bon Samaritain a accomplies comme le dit Matthieu dans sa parabole sur le jugement dernier (Mt 25).

Homélie sur le Psaume 95, 15:

«Car il viendra juger dans l’équité l’univers entier: non une partie, car il n’a pas racheté une partie. Il jugera le monde entier, parce qu’il a payé la rançon de tout le monde. Vous avez entendu l’Evangile dit qu’à son avènement, il rassemblera les élus des quatre vents du monde. Or, rassembler ses élus des quatre vents, c’est bien les rassembler du monde entier. Et en effet, Adam, je l’ai dit déjà, signifie en grec tout l’univers. Il est composé de quatre lettres, A, D, A, et M. Or, dans le langage des Grecs, ces quatre lettres sont les initiales des quatre parties du monde. Ils nomment l’Orient Anatole, l’Occident Dusin, le Nord Arkton, le Midi Mesebian. Dans ces initiales nous trouvons Adam, qui est ainsi répandu dans le monde entier. Il n’était jadis qu’en un lieu, d’où il est tombé, et il a été réduit en poudre pour être jeté dans tout l’univers: mais la divine miséricorde a rassemblé de toutes parts ces débris, les a fondus au feu de la charité, et a réuni ce qui était brisé. Ce grand artiste a su réparer sou ouvrage; ne désespérons point. La tâche est difficile, mais pensez quel est l’architecte.

Celui-là nous a rétablis, qui nous avait déjà faits; celui qui nous a formés, nous reformera. Il jugera l’univers entier dans l’équité, et les peuples dans la vérité. Quelle équité, quelle vérité? Il rassemblera ses élus pour juger avec lui, et séparera les autres. Il placera les uns à droite, les autres à gauche. Quoi de plus conforme à la vérité, à la justice, que de réduire à n’attendre du souverain aucune miséricorde, ceux qui n’ont voulu faire aucune miséricorde avant son avènement? Mais ceux qui auront voulu faire miséricorde, seront jugés avec miséricorde. Il sera dit à ceux de droite: Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. Et le Sauveur énumère les œuvres de miséricorde: J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; et le reste. Que doit-il reprocher à ceux de gauche? De n’avoir point voulu faire miséricorde. Et où vont-ils? Allez au feu éternel. Cette parole sévère produira un immense gémissement. Mais que nous dit un autre psaume? La mémoire du juste ne périra point, et il ne craindra point la parole terrible. Quelle est cette parole terrible? Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges. Or, celui qui se réjouira d’entendre la parole de bénédiction, n’aura pas à craindre la parole terrible. Comment se réjouiront-ils de la parole de bénédiction? Venez, bénis de mon Père. Quelle parole ne craindront-ils point? Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges. Voilà la justice, voilà la vérité. Il jugera l’univers entier dans la justice, et les peuples dans la vérité. Parce que tu es injuste, le juge ne sera-t-il pas juste? Parce que tu es menteur, la vérité cessera-t-elle d’être vraie? Si tu veux obtenir miséricorde, sois miséricordieux avant son avènement; pardonne si l’on t’a offensé, donne de ton abondance. Et de qui viennent les dons, sinon de lui? Donner ton bien serait une largesse; donner du sien est une restitution. Qu’as-tu donc que tu n’aies pas reçu? Ainsi voilà les hosties agréables à Dieu, la miséricorde, l’humilité, la confession, la paix, la charité. Voilà ce que nous apportons, afin d’attendre en sécurité l’avènement du souverain juge, qui jugera l’univers entier dans l’équité, et les peuples dans sa vérité

Augustin fait une distinction entre le pardon des péchés et les autres œuvres de miséricorde. A partir d'un verset de psaume, Augustin montre qu'en faisant miséricorde nous prêtons. Car lorsque nous faisons miséricorde nous recevons le pardon de nos propres péchés. Notre pardon est donc un prêt puisque nous recevons en retour, alors que les œuvres de miséricorde sont un don. Homélie sur le Psaume 111, 4:

«Celui-là est doux, qui fait miséricorde et qui prête; Dieu ne le rejettera point de sa bouche comme celui qui serait fade. Remettez-les dettes ,vous est-il dit, et l’on vous remettra; donnez, et l’on vous donnera. C’est faire miséricorde, que remettre les dettes, afin que les nôtres nous soient remises; c’est prêter, que donner pour que l’on nous donne. Bien qu’en général on appelle miséricorde le soulagement que l’on procure à la misère; il y a néanmoins une différence entre donner, et ces occasions où l’on ne fait aucune dépense, ni en argent, ni en assistance par un travail corporel, et où nous acquérons gratuitement le pardon de nos péchés, en pardonnant aux autres leurs offenses envers nous. Ces deux effets de la charité, de pardonner les offenses et de procurer des bienfaits, comme nous l’avons remarqué dans l’Evangile: Remettez, et il vous sera remis; donnez, et l’on vous donnera, sont ainsi résumés dans notre verset: Celui-là est l’homme doux, qui pardonne et qui prête

Les œuvres de miséricorde nous ouvrent le ciel. C'est par la miséricorde — charité qui va jusqu'à l'amour des ennemis — que nous allons vers notre vraie patrie. La miséricorde en effet, exclut la vengeance. Est-ce à dire que ceux qui nous outragent injustement ne seront pas punis? Non, mais si la miséricorde est pour l'homme, miséricorde qui inclut la punition dans la charité, le châtiment est pour Dieu. Homélie sur le Psaume 102, 14:

«Donc, mes frères, exercez la miséricorde. Il n’y a point d’autre lien de charité, il n’y a point d’autre moyen pour aller de cette vie à la patrie céleste; étendez votre charité jusqu’à vos ennemis: soyez en sûreté, c’est pour cela que le Christ est venu au monde, lui à qui le Prophète a dit longtemps auparavant: C’est de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle que vous avez tiré la louange la plus parfaite, afin de détruire l’ennemi et le vindicatif. D’autres manuscrits ont écrit le défenseur; mais le vindicatif est plus vrai. C’est lui en effet que le Seigneur a voulu détruire, c’est-à-dire l’homme qui poursuit sa vengeance au point que ses péchés ne lui soient point remis. Quoi donc? diras-tu. Laissera-t-on dormir tout châtiment? N’y aura-t-il plus de réprimande? Loin de là. Que ferais-tu alors de ce fils débauché? N’y aura-t-il pour lui ni frein, ni répression? Et ton esclave, si tu lui vois une conduite déréglée, n’aurais-tu pour lui ni frein, ni châtiment? Agissez alors, agissez; Dieu vous le permet; il vous menace, au contraire, si vous ne le faites point; mais faites-le dans un esprit de charité, et non dans un esprit de vengeance. Que si tu as à souffrir tes outrages de plus puissants que toi, et que tu ne puisses ni infliger un châtiment, ni même avertir ou commander, tu dois alors souffrir, et souffrir avec sécurité. Ecoute l’Evangile qu’on lisait tout à l’heure: Vous serez heureux quand les hommes vous persécuteront, et diront hautement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Le Seigneur prend soin de nous indiquer le motif, de peur que ces injures ne nous viennent plutôt par nos mérites, que pour la cause des saintes justices de Dieu. Recevoir des injures, ce n’est point pour cela être juste. Mais celui qui est juste et que l’on outrage injustement, recevra sa récompense pour l’injustice qu’il endure. Sois donc en assurance, quand tu fais miséricorde, étends ta charité jusqu’à tes ennemis; et pour ceux que tu dois surveiller, corrige-les, châtie-les avec amour, avec charité, ayant en vue le salut éternel. Fais cela: mais tu en trouveras beaucoup sur qui tu ne pourras exercer aucune autorité, qui ne sont point soumis à la discipline; alors souffre leurs injures, et sois sans inquiétude. Car le Seigneur fera miséricorde, et rendra justice à tous ceux qu’on opprime. Il te fera miséricorde, si tu es miséricordieux: et tu seras miséricordieux, sans toutefois que celui qui t’outrage demeure impuni. La vengeance m’appartient, dit le Seigneur, c’est moi qui dois l’infliger

 

Qu'est-ce que la miséricorde?

«Tu es miséricorde, je suis misère: misericors es, miser sum» (Confessions X, 28, 39)

Le lien entre misère et miséricorde revient de façon récurrente dans sa pensée. La miséricorde n’aurait pas d’emploi sans la misère dont est affectée l’existence humaine, à la fois corporelle et spirituelle. Comment entendre ces deux mots? Augustin s’en explique au détour d’une réflexion sur ses attraits pour le théâtre: «Quand on pâtit soi-même, c’est de la misère, et quand on pâtit avec d’autres, c’est de la miséricorde, dit-on d’ordinaire» (Confessions III, 2, 2). Quoi qu’il en soit, cette opinion renvoie à l’expérience d’un chacun. C’est dans la misère qu’on espère la miséricorde. Comme son nom l’indique, la miséricorde est la disposition d’un cœur ouvert à la misère d’autrui.

Augustin, Ad Siplicianum, II, q. 2, 2-3:

«La miséricorde chez l'homme suppose aussi quelque souffrance du cœur, ainsi que l'indique l'étymologie du mot latin, misericordia; ce qui fait que l'Apôtre nous invite non seulement à nous réjouir avec ceux qui se réjouissent, mais encore à pleurer avec ceux qui pleurent. Or quel homme raisonnable avancera jamais que Dieu souffre de cœur? Et cependant l'Ecriture nous dit partout qu'il est miséricordieux. […]

Otez également à la miséricorde sa compassion, c'est-à-dire la douleur qu'elle ressent de la souffrance d'autrui, pour ne lui laisser que son calme et bienveillant désir de subvenir au malheur et de le faire disparaître, et vous aurez une connaissance de la divine miséricorde.»

La miséricorde transforme le secours que nous apportons aux autres en sacrifice véritable à condition d'être orientée vers Dieu: et vivre pour Dieu est une miséricorde envers nous-même. Car c'est l'union à Dieu qui constitue le vrai sacrifice.

Augustin, La Cité de Dieu, X, 5-6.

«Le vrai sacrifice, c'est toute action que nous accomplissons pour nous unir à Dieu en une société sainte; c'est-à-dire toute action rapportée à cette fin, à ce bien par lequel nous pouvons être vraiment bienheureux. Il en résulte que la miséricorde elle-même, par laquelle on vient au secours de l'homme, si elle n'est pas accomplie pour Dieu, n'est pas un sacrifice. Car bien qu'il soit réalisé ou offert par l'homme, le sacrifice est une réalité divine, ce qui est le nom par lequel les anciens Latins le désignaient parfois. Par conséquent l'homme lui-même, consacré par le nom de Dieu et voué à Dieu, en tant qu'il meurt au monde et vit pour Dieu, l'homme lui-même est un sacrifice. Car cela aussi appartient à cette miséricorde qu'on se fait à soi-même. C'est pourquoi il est écrit: Fais miséricorde à ton âme en plaisant à Dieu.

Puis donc que les œuvres de miséricorde rapportées à Dieu sont de vrais sacrifices, que nous les pratiquions envers nous-mêmes ou envers le prochain, et qu’elles n’ont d’autre fin que de nous délivrer de tout misère et de nous rendre bienheureux, ce qui ne peut se faire que par la possession de ce bien dont il est écrit: M’attacher à Dieu c’est mon bien, il s’ensuit que toute la cité du Rédempteur, c’est-à-dire l’assemblée et la société des saints, est elle-même un sacrifice universel offert à Dieu par le suprême pontife, qui s’est offert pour nous dans sa passion, afin que nous fussions le corps de ce chef divin selon cette forme d’esclave dont il s’est revêtu.»

La miséricorde doit aller de pair avec la justice. Dieu nous en donne l'exemple: maintenant il fait preuve de miséricorde envers nous et plus tard il exercera sa justice. Pour nous, une difficulté se présente lorsqu'il faut tenir à la fois miséricorde est justice, car certains sont tentés de juger en faveur du pauvre parce qu'il est pauvre, alors qu'il est dans son tort. D'autres favorisent le riche parce qu'il est riche, alors que c'est le pauvre qui a raison.

Augustin, En. in Ps. 32, II, 10-12.

«Il aime la miséricorde et le jugement. Aimez-les, puisque Dieu les aime. Appliquez-vous, mes frères. C’est maintenant le temps de la miséricorde, ensuite viendra celui du jugement. Pourquoi est-ce aujourd’hui celui de la miséricorde? C’est que maintenant il appelle ceux qui se détournent de lui, et qu’il pardonne à ceux qui se tournent vers lui; c’est qu’il attend avec patience que les pécheurs se convertissent; c’est qu’après leur conversion il oublie le passé, il promet l’avenir, il stimule la lenteur, il console dans l’affliction, il enseigne ceux qui sont studieux, il vient en aide à ceux qui combattent: il n’abandonne aucun de ceux qui sont dans la peine et qui crient vers lui; il nous donne ce que nous devons lui offrir en sacrifice, et nous met en main de quoi l’apaiser. Qu’un temps si précieux de miséricorde ne passe point pour nous, ô mes frères, qu’il ne s’écoule point inutilement pour nous. Toutefois viendra le jugement avec son repentir, et repentir sans fruit. Ils diront en eux-mêmes dans le repentir, et gémissant dans l’angoisse de leur esprit; c’est là ce qui est écrit au livre de la Sagesse: De quoi nous a servi l’orgueil, et que nous a procuré l’ostentation des richesses? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre. Disons maintenant: Tout passe comme l’ombre. Disons utilement: Tout passe, de peur qu’un jour nous ne disions sans profit: Tout est passé. C’est donc maintenant le temps de la miséricorde que doit suivre le temps du jugement.

Tu as entendu, ô mon frère, comment Dieu exerce la miséricorde et le jugement, et toi aussi, sois juste et miséricordieux. Ces deux attributs sont-ils exclusivement ceux de Dieu et non des hommes? S’ils ne regardaient point les hommes, Dieu ne dirait pas aux Pharisiens: Vous omettez ce qu’il y a de plus important dans la loi: la justice et la miséricorde. Garde-toi de croire que tu ne doives exercer que la miséricorde et non le jugement. Tu es quelquefois arbitre dans un différend entre deux hommes, dont l’un est riche et l’autre pauvre; et il arrive que la mauvaise cause est celle du pauvre, tandis que le riche soutient la vérité; si tu es ignorant dans les choses de Dieu, tu croiras bien faire de prendre le pauvre en pitié, d’atténuer, de cacher son tort, de vouloir le justifier, afin qu’il paraisse avoir pour lui le bon droit: et si l’on te reproche l’injustice de ta sentence, tu prends pour excuse une fausse miséricorde, en disant: Je sais tout cela, j’ai compris l’affaire, mais c’était un pauvre, il fallait en avoir pitié. N’est-ce point là faire miséricorde au détriment de la justice? Mais comment, diras-tu, pouvoir être juste sans oublier la miséricorde? J’aurais prononcé contre un pauvre qui n’avait pas de quoi payer, ou s’il avait pu payer, il n’aurait plus rien eu pour vivre? Voici la réponse de Dieu: Tu ne feras pas acception du pauvre dans tes jugements. Quant au riche, il est aisé de comprendre qu’on ne doit point faire acception en sa faveur. Tout homme le voit, et plaise à Dieu que tout homme le pratique; l’erreur la plus facile consiste donc à chercher à plaire à Dieu, en jugeant en faveur du pauvre, comme si l’on voulait dire à Dieu: J’ai fait grâce au pauvre. Mais il fallait être à la fois juste et miséricordieux. Quelle est d’abord cette miséricorde qui consiste à favoriser l’injustice? Tu as ménagé sa bourse, mais percé son cœur: ce pauvre est demeuré dans l’injustice, et dans une injustice d’autant plus funeste qu’il te voit favoriser son injustice, toi qu’il croyait un homme juste. Il t’a quitté couvert de ton injuste protection, pour tomber sous la juste condamnation du Seigneur. Quelle miséricorde lui as-tu faite en le rendant injuste? Il y a plus de cruauté que de miséricorde. Mais, diras-tu, que fallait-il faire? Il fallait parler selon la justice, reprendre le pauvre, fléchir le riche. Il y a un temps pour juger et un temps pour demander. Quand le riche t’aurait vu garder les règles de l’équité, ne point favoriser dans le pauvre son arrogante injustice, n’aurait-il pas été incliné à lui faire grâce sur ta demande, dans la joie que lui aurait causé ta sentence?»

 

Lire la suite ...

Haut de la page