Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Le bon samaritain

Jésus le bon samaritain

Pour approfondir la parabole, j'ai repris des commentaires patristiques du bon samaritain — la plupart cités dans le texte de Benoît XVI rapporté au début. Dans tous ces textes Jésus est identifié au bon Samaritain, comme le gardien des hommes, leur médecin.

 

Irénée (IIe s.): le bon samaritain donne l'Esprit à tous les peuples

Irénée relie la parabole du bon Samaritain au signe donné par Dieu au juge Gédéon. Appelé par Dieu pour vaincre les Madianites, Gédéon en effet avait demandé un signe :

Gédéon dit à Dieu: Si tu veux délivrer Israël par ma main, comme tu l’as dit, voici, je vais mettre une toison de laine dans l’aire; si la toison seule se couvre de rosée et que tout le terrain reste sec, je connaîtrai que tu délivreras Israël par ma main, comme tu l’as dit. Et il arriva ainsi. Le jour suivant, il se leva de bon matin, pressa la toison, et en fit sortir la rosée, qui donna de l’eau plein une coupe. Gédéon dit à Dieu: Que ta colère ne s’enflamme point contre moi, et je ne parlerai plus que cette fois: Je voudrais seulement faire encore une épreuve avec la toison: que la toison seule reste sèche, et que tout le terrain se couvre de rosée. Et Dieu fit ainsi cette nuit-là. La toison seule resta sèche, et tout le terrain se couvrit de rosée (Jg 6, 36-0).

Irénée voit dans cette rosée l'Esprit Saint que le Christ a reçu (Is 11, 2-3) et qu'il a confié aux hommes. Il l’a donc confié à l’Église (Jn 15, 26), comme le bon Samaritain avait donné deux deniers à l’aubergiste qui représente l'humanité (Lc 10, 30-35). L’Esprit marque l’Homme à l’effigie (cf. Mt 22, 20) du Père et du Fils. Nous devons faire fructifier le denier qui a été confié à l’Homme pour que l’image soit de plus en plus ressemblante.

« C'est parce qu'il voyait d'avance la grâce de ce don que Gédéon, cet Israélite que Dieu avait choisi pour sauver le peuple d'Israël de la domination des étrangers, changea sa demande: il prophétisa par là que sur la toison de laine, qui seule avait d'abord reçu la rosée et qui était la figure du peuple d'Israël, viendrait la sécheresse, c'est-à-dire que ce peuple ne recevrait plus de Dieu l'Esprit Saint — selon ce que dit Isaïe: Je commanderai aux nuées de ne pas pleuvoir sur elle —, tandis que sur toute la terre se répandrait la rosée, qui est l'Esprit de Dieu. C'est précisément cet Esprit qui est descendu sur le Seigneur, Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu. Et c'est ce même Esprit que le Seigneur à son tour a donné à l'Eglise, en envoyant des cieux le Paraclet sur toute la terre, là où le diable avait été précipité comme l'éclair, selon la parole du Seigneur: c'est pourquoi cette rosée de Dieu nous est nécessaire pour que nous ne soyons pas consumés ni rendus stériles et pour que, là où nous avons un accusateur, nous ayons aussi un Défenseur. Car le Seigneur a confié l'Esprit Saint à l'homme, son propre bien, qui était tombé entre les mains des brigands, cet homme dont il a eu compassion et dont il a lui-même bandé les blessures, donnant deux deniers royaux pour que, après avoir reçu par l'Esprit l'image et l'inscription du Père et du Fils, nous fassions fructifier le denier qui nous est confié et le remettions au Seigneur ainsi multiplié» (Adv. Haer., III, 17, 1-3).

 

Origène (IIIe s.): le bon samaritain gardien des hommes

Pour Origène, le bon samaritain est le Christ, le gardien de nos âmes, selon l'étymologie du mot samaritain. Il puise dans une tradition déjà existante son interprétation de la parabole du bon samaritain. Il en donne une lecture allégorique: chacun des lieux ou personnages reçoit une signification précise qui sera reprise, avec quelques variantes, par les Pères de l'Eglise qui viendront après lui. Mais toujours, le samaritain, c'est le Christ.

«D'après un ancien qui voulait interpréter la parabole du bon Samaritain, l'homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho représente Adam, Jérusalem le paradis, Jéricho le monde, les brigands les forces hostiles, le prêtre la Loi, le lévite les prophètes, le Samaritain le Christ.

Par ailleurs, les blessures symbolisent la désobéissance, la monture le corps du Seigneur, et le pandochium, c'est-à-dire l'auberge accueillant tous ceux qui veulent y entrer, est l'image de l'Église. En outre, les deux deniers représentent le Père et le Fils, l'aubergiste le chef de l'Église qui a charge de l'administrer. Et la promesse de revenir, faite par le Samaritain, figure, selon cet interprète, le second avènement du Seigneur.

Le Samaritain avait de l'huile dont l'Écriture dit: Que l'huile fasse briller le visage (Ps 103, 15), le visage de celui dont il avait pris soin, assurément. Pour calmer l'inflammation des plaies, il les nettoya avec de l'huile et aussi avec du vin mêlé de quelque substance amère. Puis il chargea le blessé sur sa monture, c'est-à-dire sur son propre corps, puisqu'il a daigné assumer la condition de l'homme.
Ce Samaritain porte nos péchés (Mt 8, 17) et souffre pour nous. Il porte le moribond et le conduit dans une auberge, c'est-à-dire dans l'Église. Celle-ci est ouverte à tous, elle ne refuse son secours à personne et tous y sont invités par Jésus: Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous procurerai le repos (Mt 11, 28).

Après y avoir conduit le blessé, le Samaritain ne part pas aussitôt, mais demeure toute la journée dans l'hôtellerie auprès du moribond. Il soigne ses blessures non seulement le jour, mais encore la nuit, l'entourant de toute sa sollicitude empressée.

Voulant partir le matin, il prélève sur son argent deux pièces d'argent (Lc 10, 35) et en gratifie l'aubergiste, qui est certainement l'ange de l'Eglise. Puis il commande de soigner avec diligence et de ramener à la santé celui à qui il a lui-même prodigué aussi ses soins pendant un temps trop court.
Les deux deniers représentent, à mon avis, la connaissance du Père et du Fils et la connaissance du mystère que voici: le Père est dans le Fils et le Fils est dans le Père. C'est là le salaire donné à l'ange pour qu'il soigne avec un plus grand empressement l'homme qui lui a été confié. L'aubergiste reçoit en outre la promesse que tout ce qu'il dépensera de son bien pour la guérison du blessé lui sera aussitôt remboursé.

Vraiment ce gardien des âmes s'est montré plus proche des hommes que la Loi et les Prophètes en faisant preuve de bonté (Lc 10, 37) envers celui qui était tombé dans les mains des bandits et il s'est montré son prochain (Lc 10, 36) moins en paroles qu'en actes.
Il nous est donc possible, en suivant cette parole: Soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même du Christ (1Co 11, 1), d'imiter le Christ et d'avoir pitié de ceux qui sont tombés dans les mains des bandits, de nous approcher d'eux, de verser de l'huile et du vin sur leurs plaies et de les bander, de les charger sur notre propre monture et de porter leurs fardeaux. Aussi, pour nous y exhorter, le Fils de Dieu a-t-il dit en s'adressant à nous tous, plus encore qu'au docteur de la Loi: Va, et toi aussi, fais de même (Lc 10, 37). Et si nous le faisons, nous obtiendrons la vie éternelle dans le Christ Jésus, à qui appartiennent la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen (1P , 11)» (Origène, Homélies sur l'évangile de Luc, 3, 3, 1-9).

 

Ambroise (IVe s.): le bon samaritain médecin

Dans la parabole, l'homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Cette dernière ville prend un relief plus grand que chez Origène. Car Jéricho, dans le livre de Josué, a joué un rôle clé dans la conquête de la terre promise car elle en verrouillait l'entrée. Les hébreux envoient donc des éclaireurs reconnaître la ville; ils sont cachés par Rahab la prostituée (Jos 2) qui, en retour, aura la vie sauve lors de la prise de la ville (Jos 6, 25).

Quant au samaritain, Ambroise comme Origène, voit en lui le gardien des hommes, mais aussi le médecin. Les deux deniers — image du Père et du Fils chez Irénée, connaissance du Père et du Fils pour Origène — sont, pour Ambroise, les deux Testaments; quant à la monture ce sont les épaules du Christ; l'hôtelier: les prédicateurs.

«Afin de pouvoir plus aisément expliquer le texte qui nous est proposé, repassons l'histoire ancienne de la ville de Jéricho. Nous nous souvenons que Jéricho — comme nous le lisons dans le livre intitulé Josué fils de Navé — était une grande cité entourée de murs et de remparts, pour n'être pas accessible au fer, ni forcée par le bélier. Il y demeurait une prostituée, Rahab, qui donna l'hospitalité aux éclaireurs envoyés par Josué, les aida de ses conseils, répondit aux questions de ses concitoyens qu'ils étaient partis, les cacha sur son toit, et, pour arriver à se soustraire, elle et les siens, à la destruction de la ville, attacha de l'écarlate à sa fenêtre. Quant aux murs inexpugnables de la cité, au son des sept trompettes des prêtres, accompagné par les cris et les hurlements joyeux du peuple, ils s'écroulèrent. Voyez comment chacun tient son rôle propre: l'éclaireur la vigilance, la prostituée le secret, le vainqueur la fidélité, le prêtre la religion: les premiers, pour la gloire, ne craignent pas le péril; elle, même en péril, ne trahit pas ceux qu'elle a reçus; celui-ci, plus soucieux de garder la fidélité que de vaincre, prescrit la vie sauve pour la prostituée avant la ruine de la cité; quant aux instruments de la religion, ce sont les armes du prêtre. Et maintenant, comment ne pas trouver parfaitement merveilleux que dans toute cette ville nul n'ait été sauvé sinon celui que la prostituée a libéré?

Telle est la simple vérité historique. Considérée plus à fond, elle révèle d'admirables mystères. Jéricho est en effet la figure de ce monde, où, chassé du paradis, c'est-à-dire de la Jérusalem céleste, Adam est descendu par la déchéance de sa prévarication, passant de la vie aux enfers: c'est le changement non pas de lieu, mais de mœurs, qui a fait l'exil de sa nature. Bien changé de l'Adam qui jouissait d'un bonheur sans trouble, dès qu'il se fut abaissé aux fautes du monde, il rencontra des larrons; il ne les aurait pas rencontrés, s'il ne s'y était exposé en déviant du commandement céleste. Quels sont ces larrons, sinon les anges de la nuit et des ténèbres, qui parfois se travestissent en anges de lumière (2 Co 11, 1), mais ne peuvent s'y tenir? Ils nous dépouillent d'abord des vêtements de grâce spirituelle que nous avons reçus, et c'est ainsi qu'ils ont coutume d'infliger des blessures: car si nous gardons intacts les vêtements que nous avons pris, nous ne pouvons ressentir les coups des larrons. Prenez donc garde d'être d'abord dépouillé, comme Adam a d'abord été mis à nu, dépourvu de la protection du commandement céleste et dépouillé du vêtement de la foi: c'est ainsi qu'il a reçu la blessure mortelle à laquelle aurait succombé tout le genre humain, si le Samaritain n'était descendu pour guérir ses cruelles blessures. Ce n'est pas le premier venu que ce Samaritain: celui qu'avaient dédaigné le prêtre, le lévite, II ne l'a pas dédaigné à son tour. Ne méprisez pas non plus, à cause de ce nom de secte, Celui qu'en interprétant ce nom vous admirerez: car le nom de Samaritain signifie gardien: telle est sa traduction. Qui est ce gardien? N'est-ce pas Celui dont il est dit: Le Seigneur garde les petits (Ps 11, 6)? De même donc qu'il y a un Juif selon la lettre, un autre selon l'esprit, il y a aussi un Samaritain du dehors, un autre caché. Donc ce Samaritain qui descendait — qui est descendu du ciel, sinon Celui qui est monté au ciel, le Fils de l'homme, qui est au ciel (Jn 3, 13)? — voyant cet homme à demi mort, que personne jusque-là n'avait pu guérir (comme celle qui avait un flux de sang et avait dépensé toute sa fortune en médecins), s'est approché de lui, c'est-à-dire en acceptant de souffrir avec nous s'est fait notre proche et, en nous faisant miséricorde, notre voisin. Et il pansa ses blessures, en y versant de l'huile et du vin. Ce médecin a bien des remèdes, au moyen desquels il a coutume de guérir. Sa parole est un remède: tel de ses discours ligature les plaies, un autre les réchauffe d'huile, un autre y verse le vin; II ligature les plaies par tel précepte plus austère, II réchauffe en remettant le péché, II pique comme avec le vin en annonçant le jugement. Et il le plaça, dit-il, sur sa monture. Ecoutez comment II vous y place: II porte nos péchés et souffre pour nous (Is 53, ). Le Pasteur aussi a placé la brebis fatiguée sur ses épaules (Lc 15, 5). II nous a placés sur sa monture pour supprimer les infirmités de notre chair en prenant notre corps. Enfin II nous a conduits à l'écurie: l'écurie est le lieu où aiment à se retirer ceux qui sont lassés d'un long parcours. Donc le Seigneur a conduit à l'écurie, Lui qui relève de terre l'indigent et retire le pauvre du fumier (Ps112, 7). Et il a pris soin de lui, de crainte que malade il ne pût observer les préceptes qu'il avait reçus.

Mais ce Samaritain n'avait pas le loisir de demeurer longtemps sur terre: il Lui fallait retourner au lieu d'où II était descendu. Aussi le jour suivant — quel est cet autre jour? Ne serait-ce pas celui de la résurrection du Seigneur, celui dont il est dit: Voici le jour que le Seigneur a fait (Ps 117, 2)? — II tira deux deniers et les remit à l'hôtelier, et il dit: prenez soin de lui. Qu'est-ce que ces deux deniers? Peut-être les deux Testaments, qui portent empreinte sur eux l'effigie du Père éternel, et au prix desquels sont guéries nos blessures. Car nous avons été rachetés au prix du sang (1 P 1, 19), afin d'échapper aux ulcères de la mort finale. Donc ces deux deniers, l'hôtelier les a reçus pour avoir soin de l'homme blessé. L'hôtelier donc, c'est celui qui a dit: Le Christ m'a envoyé prêcher l'évangile (1 Co 1, 17). Les hôteliers sont ceux auxquels il est dit: Allez dans le monde entier, et prêchez l'évangile à toute créature; et quiconque croira et recevra le baptême, sera sauvé (Mc 15, 16): oui, sauvé de la mort, sauvé de la blessure qu'ont infligée les larrons. Heureux l'hôtelier qui peut soigner les blessures d'autrui! Heureux celui à qui Jésus dit: Ce que vous aurez dépensé en surplus, je vous le rendrai à mon retour! Le bon dispensateur, qui dépense même en surplus! Bon dispensateur Paul, dont les discours et les épîtres sont comme en excédent sur le compte qu'il avait reçu! Il a exécuté le mandat déterminé du Seigneur par un travail presque immodéré de l'âme et du corps, afin de soulager bien des gens de leurs graves maladies en leur dispensant sa parole. C'était donc le bon hôtelier de cette écurie dans laquelle l'ânesse a reconnu la crèche de son maître (Is 1, 3), et dans laquelle on renferme les troupeaux des agneaux, de crainte que les loups rapaces qui grondent près des parcs n'aient un facile accès dans la bergerie. Il promet donc de rendre la récompense. Quand reviendrez-vous, Seigneur, sinon au jour du jugement? Car bien que vous soyez partout sans cesse, vous tenant au milieu de nous sans être vu de nous, il y aura cependant un moment où toute chair vous verra revenir. Vous rendrez donc ce que vous devez. Heureux ceux qui ont pour débiteur Dieu! Puissions-nous, nous autres, être débiteurs solvables! Puissions-nous être en état de payer ce que nous avons reçu, sans que la fonction du sacerdoce ou du ministèrenous exalte! Comment rendrez-vous, Seigneur Jésus? Vous avez bien promis qu'au ciel les bons auront une abondante récompense; pourtant vous rendrez encore, quand vous direz: C'est bien, bon serviteur; puisque vous avez été fidèle aux petites choses, je vous confierai beaucoup ; entrez dans la joie de votre Seigneur (Mt25, 21). Puis donc que nul n'est plus notre prochain que Celui qui a guéri nos blessures, aimons-Le comme Seigneur, aimons-Le aussicomme proche: car rien n'est si proche que la tête pour les membres. Aimons aussi celui qui imite le Christ; aimons celui qui compatit à l'indigence d'autrui de par l'unité du corps. Ce n'est pas la parenté qui rend proche, mais la miséricorde; car la miséricorde est conforme à la nature: il n'est rien de si conforme à la nature que d'aider celui qui participe à notre nature» (Ambroise, In Luc, 71-8).

Avec le Samaritain, c'est toute l'économie du salut qui est évoquée: l'incarnation, les souffrances du Christ qui ont guéri notre péché, la résurrection, le retour dans la gloire et le jugement.

 

Augustin (IVe-Ve s.)

Augustin est revenu plusieurs fois sur la parabole du bon samaritain, mettant ainsi en lumière divers aspects tour à tour.

Le Seigneur, notre gardien, s'est fait proche et reste proche

Dans le sermon 171, 2-3, comme Origène, Augustin a retenu le sens de samaritain: gardien. Il a surtout mis l'accent sur la proximité du Christ qu'il articule avec le thème de l'admirable échange du négociant céleste: le Christ a pris ce que nous avions et nous a donné ce qu'il avait.

«Il faut voir en effet le genre humain tout entier dans cet homme que les brigands laissèrent étendu et à demi-mort sur le chemin, près duquel passèrent, sans s'arrêter, le prêtre et le lévite, et dont le samaritain s'approcha pour lui donner ses soins et du secours. Comment le Sauveur fut-il amené à faire ce récit ? Quelqu'un lui ayant demandé quels étaient les premiers et les plus importants préceptes de la loi, il répondit qu'il y en avait deux: Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, et de tout ton esprit: Tu aimeras aussi ton prochain comme toi-même. — Qui est mon prochain? reprit l'interlocuteur. Le Seigneur rapporta alors qu'un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. C'était donc un Israélite. Il tomba au milieu des brigands, et ceux-ci l'ayant dépouillé et blessé grièvement, le laissèrent à demi-mort sur la route. Arriva un prêtre, un homme lié par le sang; il passa et le laissa. Un lévite, un homme également uni par les liens du sang vint à passer aussi; il le laissa encore sans s'occuper de lui. Arriva enfin un samaritain, un homme que rapprochait de lui, non pas le sang, mais la miséricorde; il fit ce que vous savez. Le Seigneur voulait se désigner dans la personne de ce samaritain. Samaritain en effet signifie gardien; et si Jésus-Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, si la mort ne doit plus avoir d'empire sur lui; n'est-il pas écrit aussi que le gardien d'Israël ne sommeille ni ne s'endort? Que répondit-il enfin lui-même quand en le chargeant d'outrages et d'affreux blasphèmes, les Juifs lui dirent: N'avons-nous pas raison de soutenir que tu es un samaritain et que tu es possédé du démon? Il y avait dans ces mots deux injures. Il aurait pu répondre: Je ne suis ni samaritain, ni possédé du démon. Il se contenta de dire: Je ne suis pas possédé du démon. Ce qu'il dit était une réfutation; ce qu'il tut, un assentiment. Il nia qu'il fût possédé du démon, car il savait comment il les chassait; mais il ne nia pas qu'il fût le gardien de notre faiblesse. Ainsi le Seigneur est proche, pour s'être rapproché de nous.

Qu'y a-t-il néanmoins, qu'y a-t-il de si distant, de si éloigné, que Dieu l'est des hommes; l'Immortel, des mortels; le Juste, des pécheurs? Ce n'est pas l'espace, c'est la différence qui fait cet éloignement. Ne disons-nous pas chaque jour, en parlant de deux hommes dont les mœurs sont différentes Il y a loin de l'un à l'autre? Fussent-ils rapprochés l'un de l'autre, leurs demeures fussent-elles voisines, fussent-ils attachés à la même chaîne, nous répétons qu'il y a loin du pieux à l'impie, de l'innocent au coupable, du juste à l'injuste. Or, si on parle ainsi quand il n'est question que des hommes, que dire quand il s'agit des hommes et de Dieu? Si loin donc que fût l'Immortel, des mortels; le Juste, des pécheurs, il est descendu parmi nous, afin d'en être aussi proche qu'il en était éloigné. Qu'a-t-il fait ensuite?
Il avait en lui-même deux biens immenses, et nous deux maux: lui, la justice et l'immortalité; nous, l'injustice et la mortalité. S'il s'était chargé de nos deux maux, il serait devenu pareil à nous, et comme à nous il lui aurait fallu un Libérateur. Qu'a-t-il donc fait pour se rapprocher de nous, pour s'en rapprocher et non pour devenir tout ce que nous sommes? Considère bien: il est juste et immortel; et toi, coupable et châtié, tu es injuste et mortel. Afin donc de se rapprocher de toi, il s'est chargé de ta condamnation, et non de tes crimes; ou bien, s'il s'en est chargé, c'est pour les anéantir et non pour s'y livrer. Juste et immortel, il est bien loin des hommes injustes et mortels; comme pécheur et mortel, tu étais pour ta part à une grande distance de ce juste immortel. Comme toi il ne s'est donc pas fait pécheur; mais il s'est fait mortel comme toi. Tout en restant juste il est devenu mortel. En se chargeant du châtiment sans se charger de la faute, il a anéanti la faute et le châtiment. C'est ainsi que le Seigneur est proche; ne vous inquiétez de rien. Son corps est élevé par-dessus tous les cieux, mais sa majesté ne nous a point quittés. Auteur de tout, il est présent partout».

 

Le Samaritain gardien.

Dans les Questions sur l'évangile, II, 19, Augustin garde l'interprétation allégorique qui vient d'Origène.

« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. On voit ici Adam lui-même avec le genre humain. Jérusalem est cette cité céleste de la paix, de la béatitude, de laquelle l'homme est déchu; Jéricho qui signifie Lune, représente notre mortalité, laquelle naît, croît, vieillit et disparaît. Les voleurs sont le diable et ses anges qui dépouillèrent l'homme de l'immortalité et qui l'ayant couvert de plaies en l'induisant au péché, le laissèrent demi-mort. L'homme en effet par le côté de lui-même qui peut saisir et connaître Dieu, est vivant; mais en tant que le péché lui ôte sa force et l'accable, il est mort; c'est pourquoi on le dit laissé demi-mort. Le prêtre et le lévite qui l'ayant vu passent outre, désignent le sacerdoce et le ministère du vieux Testament qui ne pouvaient servir au salut. C'est Notre Seigneur lui-même qui est figuré par le Samaritain; le Samaritain veut dire: le gardien. Le bandage des plaies marque la répression des péchés; l'huile, la consolation de l'espérance bienheureuse, fruit de l'indulgence accordée pour la réconciliation de la paix; le vin l'exhortation à la pratique fervente des œuvres de l'esprit. Le cheval du samaritain est l'emblème de la chair dans laquelle le Seigneur a daigné venir à nous. Etre mis sur ce cheval, c'est croire à l'incarnation du Christ. L'hôtellerie est l'Eglise où trouvent la réparation de leurs forces les voyageurs retournant de la terre étrangère à l'éternelle patrie. Le jour suivant marque le temps qui suit la résurrection du Seigneur».

 

Le Christ médecin

Dans les Tractatus sur saint Jean, 3, 3, le Christ est présenté comme le samaritain médecin; il nous a soignés, il s'est fait miséricordieux pour nous qui étions malades, en se faisant proche de nous comme nous l'avons vu. Ce titre désigne toute l'action du Christ en faveur de l'homme, ce grand malade qui ignore souvent le mal dont il souffre. La parabole du bon Samaritain résume l'action salvifique du Christ en faveur des malades que nous sommes. Le malheureux tombé aux mains des brigands, que personne n'a pu guérir, représente Adam après sa chute, en réalité l'humanité entière. Car Adam, c'est nous tous! Le Samaritain qui charge le blessé sur sa monture, c'est-à-dire sur sa chair, c'est le Christ et l'auberge à laquelle il le confie, c'est l'Eglise. Quant aux deux deniers, ce sont l'amour de Dieu et du prochain, sur quoi portait la discussion avec le légiste.

«Adam descendit et tomba sur des brigands (cf. Lc 10, 30); car tous nous sommes Adam. Un prêtre passa et le méprisa; un lévite passa et le méprisa: c'est que la Loi n'a pu guérir. Un samaritain passa, c'est-à-dire notre Seigneur Jésus Christ …“Un samaritain passa et agit à son égard avec miséricorde”, comme vous le savez. Le samaritain passant ne nous a pas méprisés: il nous a soignés, il nous a hissés sur sa monture, sur sa chair; il nous a conduits à l'auberge, c'est-à-dire à l'Eglise; il nous a confiés à l'aubergiste, c'est-à-dire à l'Apôtre; il lui a donné deux deniers pour les soins, l'amour de Dieu et l'amour du prochain; car ces deux commandements résument toute la Loi et les Prophètes (Mt 22, 0)».

Augustin est revenu sur le thème du Christ médecin dans d'autres écrits où il en a développé diverses harmoniques:

«Tu es médecin, je suis malade tu es miséricorde, je suis misère.»
«Medicus es, æger sum, misericors es, miser sum…» (Conf., X, 28, 39)

S., 175, 1, 1:
C'est notre maladie qui a attiré sur terre le médecin céleste. Le motif de l'incarnation du Christ n'est autre que la situation tragique de l'homme, atteint d'une maladie humainement incurable et qui, sans l'intervention du médecin divin, aurait définitivement enfermé les hommes dans la mort:

«Elle est certaine cette parole et absolument digne de foi: le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier (1 Tm 1, 15). Il n'y eut d'autre motif à la venue du Christ Seigneur que celui de sauver les pécheurs. Supprime les maladies, supprime les blessures, et il n'y a aucun motif pour la médecine. Si un grand médecin est venu du ciel, c'est qu'un grand malade gisait sur toute la surface de la terre. Ce malade est le genre humain.»

Augustin, S., 87, 13:
«Supposons que quelqu'un soit atteint dans une ville d'une maladie dangereuse et qu'il y ait dans cette même ville un médecin fort habile, mais ennemi, comme je l'ai remarqué, des amis puissants du malade; supposons que ceux-ci disent à leur ami : N'emploie pas ce médecin, il ne sait rien; supposons que ce ne soit pas le jugement, mais l'envie qui leur dicte ce langage: ce malade, pour recouvrer la santé, n'enverrait-il pas promener ces vains propos de ses puissants amis, et pour vivre quelques jours de plus ne recourrait-il pas, au risque de les offenser, et pour se délivrer de son mal, à celui que l'opinion lui a représenté comme le plus capable?

Le genre humain est aujourd'hui malade, non du corps mais de l'âme. Je vois ce grand malade gisant dans tout l'univers, de l'Orient à l'Occident, et pour te guérir un médecin tout-puissant est descendu du ciel. Pour approcher en quelque sorte du lit du malade, il s'est abaissé jusqu'à prendre une chair mortelle. Il donne des avis salutaires: les uns le méprisent et ceux qui l'écoutent sont guéris. Ceux qui le méprisent sont ces amis puissants qui répètent: il ne sait rien. Ah! s'il ne savait rien, il ne remplirait pas le monde de sa puissance. Ah! s'il ne savait rien, il n'existerait pas avant de s'être montré parmi nous. Ah! s'il ne savait rien, il n'aurait pas envoyé devant lui les Prophètes. Et ne voyons-nous pas aujourd'hui l'accomplissement de ce qu'ils ont prédit? Ce médecin, en accomplissant leurs promesses, ne témoigne-t-il pas de la puissance de son art? N'est-il pas vrai que dans tout l'univers succombent de funestes erreurs et que les châtiments qui pèsent sur le monde en abattent les passions? Que nul ne dise: le monde autrefois était meilleur qu'aujourd'hui: et depuis que ce médecin commence à y exercer, nous y voyons une multitude de choses affreuses. Ne t'en étonne pas. Si, près du médecin, le sang ne paraissait pas, c'est qu'il n'avait pas entrepris encore la guérison du malade. A ce spectacle donc, renonce aux vaines délices et cours au médecin; voici le temps de se guérir et non de s'abandonner à la volupté.»

 

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