Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Le bon samaritain

La parabole dans son contexte

Lc 10,25-36

 

 25 Et voici: un légiste se dressa, le mettant à l'épreuve il dit: Maître, ayant fait quoi, hériterai-je la vie éternelle? 26 Or celui-ci lui dit: Qu'y a-t-il d'écrit dans la Loi? Que lis-tu? 27 Or ayant répondu, il dit: Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme et de toute ta force et de toute ta pensée, et le prochain comme toi-même. 28 Or il lui dit: Tu as répondu de façon droite; fais cela et tu vivras. 29 Or voulant se justifier lui-même, il dit à Jésus: Et qui est mon prochain?

30 Reprenant, Jésus dit: Un humain descendit de Jérusalem à Jéricho, et il tomba entre les mains de brigands, et ceux-ci l'ayant dépouillé et chargé de coups, s'éloignèrent [le] laissant à demi-mort. 31 Or par hasard un prêtre descendait par ce chemin et, l'ayant vu, il passa outre, 32 et de même un lévite, étant venu au même endroit et ayant vu, passa outre.
33 Or un samaritain, faisant route près de lui et ayant vu, fut ému aux entrailles, 34 et s'étant approché, pensa ses plaies versant huile et vin; or [l']ayant placé sur sa propre monture il le mena vers une hôtellerie et prit soin de lui. 35 Et le lendemain, ayant tiré deux deniers, il les donna à l'hôtelier et dit: Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, moi, lors de mon retour, je te [le] rendrai.

36 Lequel de ces trois te semble être devenu le prochain de celui qui est tombé entre les mains des brigands? 37 Celui-ci dit: Celui [qui] a fait la miséricorde avec lui. Jésus lui dit: va, et toi fais de même.

Jésus nous montre que le chemin vers la vie éternelle, est une vie d'intimité avec le Père qui passe par la relation à son prochain, par l'amour du prochain comme soi-même. A l'aide d'une parabole, il montre comment aimer son prochain.
Cette parabole se situe dans le cadre d'un dialogue de Jésus avec un légiste qui l'encadre.

 

La question d'un légiste

Le légiste, comme le diable dans le désert, met Jésus à l'épreuve: Que faire pour hériter la vie éternelle? Jésus le renvoie à la Loi, au pentateuque et le légiste qui est un spécialiste de l'Ecriture, répond en unissant deux commandements: l'amour de Dieu, c'est-à-dire le Shema Israël (Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton esprit, de toute ton âme, de toute ta force, Dt 6, 5), et l'amour du prochain (Ta main n'exercera pas la vengeance; tu ne t'irriteras point contre les enfants de ton peuple; tu aimeras ton prochain comme toi-même: je suis le Seigneur, Lv 19, 18). Jésus apprécie favorablement sa réponse et lui dit que pour hériter la vie éternelle, il suffit de faire ce que la Loi prescrit et qu'il vient de rappeler. Mais le légiste, qui cherche encore un moyen de mettre Jésus à l'épreuve, pose une nouvelle question: il y a des cas où les deux commandements semblent impossibles à tenir ensemble. Alors que faut-il faire? A quoi se référer pour discerner? Qui doit-on considérer comme son prochain? Concrètement: envers qui doit-on pratiquer des œuvres de miséricorde? En hébreu, la Gemilut ḥasidim, « l’effusion d’amour bonté », est la vertu juive essentielle; c'est une inquiétude pour ses frères; elle peut être donnée aux riches aussi bien qu'aux pauvres et peut impliquer des services personnels, mais aussi le simple don d’argent. C’est une des caractéristiques majeures de l’éthique juive. La tradition rabbinique citait un passage du deuxième livre des Chroniques comme exemple:


Les fils d’Israël firent prisonniers parmi leurs frères deux cent mille femmes, fils et filles. Ils prirent aussi un grand butin qu’ils emportèrent à Samarie. Il y avait là un prophète du Seigneur, nommé Oded. Il sortit au-devant de l’armée qui arrivait à Samarie, et dit : « Voici que, dans sa fureur contre Juda, le Seigneur, Dieu de vos pères, les a livrés entre vos mains, et vous les avez tués avec une rage qui est parvenue jusqu’au ciel. Et maintenant, vous parlez de soumettre les fils de Juda et de Jérusalem pour qu’ils soient vos serviteurs et vos servantes. Mais n’avez-vous pas à vous reprocher quelque offense envers le Seigneur votre Dieu ? Alors, maintenant écoutez-moi, et renvoyez les prisonniers que vous avez faits parmi vos frères, car l’ardeur de la colère du Seigneur est sur vous. » Quelques-uns d’entre les chefs des fils d’Éphraïm, Azarias, fils de Yohanane, Bérékia, fils de Meshillémoth, Yehizqia, fils de Shalloum, et Amasa, fils de Hadlaï, se dressèrent contre ceux qui revenaient de l’expédition. Ils leur dirent : « Ne faites pas entrer ici les prisonniers : ce serait nous charger d’une offense envers le Seigneur, et ajouter à nos péchés et à nos offenses. Notre offense est déjà grande, et l’ardeur de la colère du Seigneur est sur Israël. » La troupe abandonna les prisonniers et le butin devant les princes et toute l’assemblée. Alors se levèrent les hommes désignés par leurs noms, qui prirent en charge les prisonniers. Avec le butin, ils habillèrent tous ceux d’entre eux qui étaient nus, leur donnèrent de quoi se vêtir et se chausser, les firent manger et boire, et les soignèrent. Ils conduisirent sur des ânes tous les éclopés et les emmenèrent à Jéricho, la ville des Palmiers, auprès de leurs frères. Puis ils retournèrent à Samarie (2 Ch 28, 8-15).


Le dilemme venait de ce qu'il était possible d'asservir les prisonniers, mais pas ses frères, son prochain:


Tous les serviteurs et servantes que tu auras, tu les achèteras des nations qui t'entourent. C'est d'elles que vous achèterez vos serviteurs et vos servantes. Comme aussi des fils des étrangers demeurant parmi vous: vous les achèterez d'eux et de toutes leurs familles qui seront sur votre terre, pour être votre propriété. Et, après vous, vous les donnerez en partage à vos enfants, et ils seront votre propriété perpétuelle; mais des fils d'Israël, nul ne tourmentera son frère par des travaux (Lv 25, 44-46).
Jésus, quant à lui, donne en exemple, dans la parabole du bon samaritain, un cas où le devoir de charité semble s'opposer à la Loi. Un prêtre ne pouvait toucher un homme à demi mort, un mourant, car cela l'aurait rendu impur tout autant que de toucher un mort (Nb 19, 11-13.16). Pourtant la tradition rabbinique spécifiait qu'il devait faire tout ce qu'il pouvait pour sauver la vie d'un homme, à condition qu'il soit son prochain; mais ce n'était pas le cas pour un samaritain. En proposant un samaritain comme exemple de celui qui se fait le prochain de l'homme en détresse qui n'est pas son prochain selon la Loi, Jésus change le regard sur le prochain. Sa façon d'agir est proposée comme modèle des œuvres de miséricorde et Jésus décrit ce qu'il fait avec force détails.

 

La parabole

Un homme était tombé dans un guet-apens entre Jérusalem et Jéricho. Battu, dépouillé, il est laissé à demi mort. Un prêtre et un lévite arrivent auprès de cet homme de leur race, blessé par des brigands et passent leur chemin. Un samaritain, étranger et hérétique passe lui aussi près de lui; il le voit et il s'arrête, alors qu'étant donné son état, il n'avait pas à s'arrêter; il est ému aux entrailles. Ce terme n'est plus tellement actuel. Dans le Nouveau Testament, il est employé le plus souvent dans un sens figuré, symbolique, se référant au siège des émotions; c'est la partie la plus profonde, intime, essentielle; la partie profonde de l'être sensible. Les prophètes parlaient déjà des entrailles de Dieu: il est comme d'une mère qui, une fois qu’elle a accouché, se voit obligée par amour de protéger et de nourrir son enfant (Moïse dit au Seigneur: Ai-je donc porté ce peuple tout entier dans mes flancs? Est-ce moi qui l'ai enfanté pour que vous me disiez: Prends ce peuple sur ton sein, comme le nouveau-né que la nourrice allaite, jusqu'à ce qu'il arrive en la contrée promise à ses pères?, Nb 11, 12). Le deuxième Isaïe dit que le peuple a été conçu dans le «rehem/ventre /utérus» de Yahvé: Une femme oublie-t-elle l'enfant qu'elle nourrit? Cesse-t-elle de chérir l'enfant de ses entrailles? même s'il s'en trouvait une pour l'oublier, moi Ton Dieu, je ne t'oublierai jamais… Vois donc, le t'ai gravé sur la paume de mes mains (Is 66, 12-13). De cette parole dérive l’adjectif rahum utilisé pour désigner Yahvé comme «miséricordieux»: Et le Seigneur passa devant sa face, et Moïse l'invoqua, disant: Seigneur Dieu, plein de clémence, patient, abondant en miséricorde (Ex 34, 6; cf. Jr 3, 12; Ps 110, 4), c’est-à-dire, comme un Dieu qui a les mêmes sentiments envers son peuple qu’une mère qui ressent les mouvements de son enfant dans son sein/utérus.

Les prophètes ont recours à une série d’images de genre maternel pour exprimer la relation d’amour de Yahvé envers le peuple:-il est assimilé à une femme qui enfante (J'ai souffert avec patience comme une femme qui enfante, Is 42, 14), à une «mère consolatrice» (Telle une mère console son enfant, et je vous consolerai, et c'est en Jérusalem que vous serez consolés, Is 66, 13), à une mère qui ne saurait jamais oublier le fruit de ses entrailles (Est-ce qu'une mère oublie son enfant? Est-ce qu'elle n'a point compassion du fruit de ses entrailles? Et lors même que la mère les oublierait, moi je ne t'oublierai jamais, dit le Seigneur, Is 49, 15). Jérémie n’hésite pas non plus à se référer de cette façon à l’amour de Yahvé pour son peuple: Mes entrailles/utérus frémissent pour lui, pour lui déborde ma tendresse (Jr 31, 20). Peut-être, la plus belle image de l’amour maternel de Dieu envers le peuple est-elle celle du prophète Osée: C’est moi qui lui apprenais à marcher, en le soutenant de mes bras, et il n’a pas compris que je venais à son secours. Je le guidais avec humanité, par des liens d’amour; je le traitais comme un nourrisson qu’on soulève tout contre sa joue; je me penchais vers lui pour le faire manger (11,3-4).

Comme son Père, Jésus apparaît aussi plusieurs fois dans les évangiles avec ce même sentiment: il fut ému aux entrailles, du grec splaxnisomai (En débarquant, il vit une grande foule; il fut ému aux entrailles pour eux et guérit leurs infirmes, Mt 14, 14). En fait, de même que rahum, le verbe splaxnisomai fait aussi allusion au frémissement des entrailles/utérus dans une femme enceinte: Jésus, ayant appelé ses disciples, dit: Je suis ému de compassion Σπλαγχνίζομαι) pour cette foule; car voilà trois jours qu'ils sont près de moi, et ils n'ont rien à manger, Mt 15, 32). Le samaritain de la parabole a les mêmes sentiments que Jésus.

Après avoir vu et ressenti de la miséricorde, le samaritain s'approche, et soigne l'homme blessé avec du vin et de l'huile. Il joue le rôle du médecin de secours à son égard.

 

Approfondissement de l'amour du prochain

Jésus pose alors une question au légiste: qui est devenu le prochain du mourant? Il ne suffit pas de savoir qui est notre prochain, mais de chercher sans cesse comment devenir le prochain de quelqu'un. La première démarche est de s'approcher de lui, comme lui-même s'est approché de l'humanité plongée dans le péché, pour manifester la miséricorde de son Père.

Jésus invite le légiste à se mettre en marche à sa suite pour faire comme lui, et à aller à la rencontre du Père. L'amour du prochain n'est plus une simple question de commandement à observer dans le cadre d'une réglementation par la Loi; il est imitation de Dieu: Soyez miséricordieux comme le Père est miséricordieux (Lc 6, 36). Il est relativement nouveau d'attribuer la miséricorde à l'homme, car dans l'Ancien Testament elle était presque exclusivement attribuée à Dieu.

 

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