Soeur Vincente
La V. Sœur Vincente
Professe du Monastère de Saint-Mathias, de Bologne
(1543)
Rien de plus extraordinaire que la vocation de cette religieuse! Elle était loin de songer à entrer dans un monastère : très éprise des vains amusements du siècle, elle allait accueillir en souriant le parti qu'elle rêvait, quand une nuit Notre Seigneur lui apparaît et lui déclare que, si elle reste dans le monde, son salut court les plus grands dangers. Et, afin de l'encourager à répondre à l'appel tout gratuit de la Miséricorde céleste, il lui promet un riche joyau qu'il tenait à la main et l'assure qu'un jour les personnages les plus illustres se feront un plaisir de la combler d'honneur!
Etonnée, ravie, la jeune fille écoute encore; mais la vision s'était évanouie. Un changement complet se fait aussitôt dans le cœur de Vincente. Elle ne peut plus ni voir ni sentir les frivolités qui jusqu'alors l'ont si étrangement passionnée : à tout prix elle veut y renoncer; et sans différer, elle s'enfuit du toit paternel et vient frapper à la porte du cloître dominicain de Saint-Mathias, en sollicitant l'habit de converse.
II. — La vie qu'elle mena dans cette pieuse maison fut tout angélique. Simple, modeste, obéissante, recueillie, notre sœur cultivait avec un soin jaloux et une prédilection toute familière l'exercice de l'oraison. Elle y était favorisée des grâces les plus précieuses; il n'était point rare de voir son corps, soulevé de terre, suivre le vol de son âme. Un jour, le divin Maître lui apparut de nouveau : « Je t'ai promis deux choses, lui dit-il, je viens remplir mes engagements; voici d'abord l'anneau que je t'avais montré, je te le donne. Avant peu, tu verras l'effet de ma seconde parole. »
Le lendemain, la pieuse converse fut désignée pour la quête. A peine sortie dans la rue, elle se croise avec la magnifique escorte de Charles-Quint, qui se rencontrait alors à Bologne avec le pape Clément VII. L'Empereur distingue cette religieuse au milieu de la foule des curieux. Il fait arrêter son carrosse, et, mettant pied à terre, s'avance vers elle, en lui prodiguant toutes les marques de l'estime et du respect, et ne la quitte qu'après lui avoir remis une aumône vraiment royale. Malgré sa rare modestie, Sœur Vincente fit bonne contenance, et, toute joyeuse, accourut raconter à sa supérieure ce qui lui était arrivé. La riche offrande servit à l'achat d'un diadème d'argent pour le tableau de la Madone de saint Luc, tenu en grande vénération dans le monastère.
III. Loin de se laisser éblouir par l'éclat de ces faveurs extraordinaires, l'humble fille resta toujours petite à ses propres yeux. Ennemie l'oisiveté, elle se livrait avec entrain aux rudes labeurs de son rang paraissant infatigable à la tâche. Un jour, cependant, écrasée sous poids du fardeau, elle eut un moment de faiblesse : la plainte effleura ses lèvres. Aussitôt elle lève les yeux au ciel, et aperçoit Notre Seigneur cloué sur la croix ! ... « Regarde, lui dit-il; vois combien j'ai souffert pour toi ! Et tu te refuserais à endurer une légère fatigue pour mon amour ! » Confuse de sa lâcheté, Vincente se jette à genoux implore son pardon.
Une autre fois qu'elle était gravement malade à l'infirmerie, notre sœur se disposait à recevoir les sacrements, quand soudain la douce Madone du tableau de saint Luc, qu'elle n'avait cessé d'invoquer, se montre devant elle. — « Rassure-toi, mon enfant, lui dit Marie, demain tu seras guérie, et voici le signe auquel tu connaîtras la vérité de tes paroles: ce soir, une personne inconnue fera don à mon tableau d'une très riche dentelle. » Quelques heures après, on apportait le présent annoncé; et, le lendemain, au grand étonnement des médecins, la malade quittait le lit et l'infirmerie.
Ce ne fut que longtemps plus tard, après une laborieuse carrière, que la servante de Dieu laissa les tristesses de cette vallée de larmes, pour entrer, comblée d'années et de mérites, dans la joie de son Seigneur, le 4 décembre 1543.