Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Moniales o.p.


 

Marie de Nazareth

Dominicaine au monastère de Lourdes

1872 - 1949

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

I. Une petite bergère

Marie-Louise Le Picard était « une vraie bretonne : petite de taille et toute ronde, les yeux bleus, la démarche dandinante, la parole et la plume aisées, la tête un peu dure parfois, comme le granit de son pays, mais qui devait devenir malléable et se fondre sous l’action maternelle de la Très sainte Vierge. Une âme de foi simple et chevillée profond, un cœur pur à qui, très tôt, Jésus parla d’amour et que Marie regarda avec complaisance ». Elle ressemble, par bien de traits de sa vie, à Bernadette Soubirous : le lien à Notre-Dame de Lourdes, bien sûr. Mais aussi la naissance dans une famille très pauvre, sa vie de petite bergère qui ne pouvait aller à l’école quand la garde des bêtes la retenait à la maison ; et encore son franc-parler, son solide bon sens tant humain que spirituel.
Elle est née à Plélo en 1872, dans la partie nord du Trégor ; sur un riche plateau de blé et de lin, bien peuplé, découpé en petites paroisses. Des talus boisés, des fermes isolées, des collines en pente douce, de grandes landes : voilà l’environnement qui a marqué l’enfance de Marie-Louise. Elle y a fait l’apprentissage de la solitude et du silence : d’abord en versant des larmes, puis en goûtant la paix et le recueillement.
Comme bien des paysans bretons du dernier quart du XIXe siècle, elle fit l’expérience d’une vie pauvre où l’insouciance de l’enfance laissait vite la place à la vie laborieuse. L’entrée dans la vie professionnelle, comme nous dirions aujourd’hui, commençait à cinq ans, dès que l’enfant était capable de garder les vaches et les moutons tout seul. La longévité était aussi très réduite : un enfant était donc très vite affronté à la mort d’êtres chers. C’est ainsi que Marie-Louise après avoir perdu sa mère à huit ans, fut atteinte par plusieurs deuils familiaux en deux ou trois ans. C’était traverser la vallée de larmes et de désolation qu’elle chantait dans le Salve Regina.

Elle est née dans une famille chrétienne très pieuse et a été élevée par sa grand-mère qui lui apprit très tôt à dire le rosaire. Elle confia un jour à sa prieure qu’elle l’avait récité tous les jours de sa vie :
« — “Oh ! tous les jours ? Pas pendant que vous étiez petite ?” — “Ecoutez, je vais vous confier un secret : quand j’ai été ici, j’ai compté tous les jours que je ne l’avais pas dit et j’ai rattrapé” ».

 


Elle apprit aussi le Salve Regina et toutes les prières, y compris pour les morts : la prière pour les morts était très intense en Bretagne. Lorsqu’elle alla à l’école, elle suivait aussi le catéchisme et prenait plaisir à passer de longs moments à l’église ou au cimetière après le repas de midi. Au cimetière reposait sa mère, dont la disparition précoce avait laissé une profonde blessure dans son cœur jusqu’au remariage de son père. Sa nouvelle maman en effet aimait profondément Marie-Louise et sa sœur et cette affection permit aux enfants de s’épanouir.

Très tôt Marie-Louise entendit une petite voix intérieure qui la guidait sur le plan spirituel. Voix de Marie qui la conduisait à Jésus, et voix de Jésus qui lui demandait le don total d’elle-même. La présence de la Vierge Marie se concrétisa à travers les nombreux lieux de pèlerinage de sa Bretagne natale, qui jouèrent un rôle dans l’orientation de sa vie. Dans le sanctuaire de Guingamp, sa mère l’avait consacrée à la Vierge Marie ; plus tard, chez les Augustines de cette même ville, elle entendra l’appel à se donner totalement à Dieu. Dans le sanctuaire de Notre-Dame de Pitié à Boquého, elle se convertit de sa vie espiègle à une vie où le Seigneur prend peu à peu toute la place. Enfin elle est allée au pardon de Notre-Dame du Rosaire à Plouagat, avant son départ pour Paris, lieu de sa guérison miraculeuse.

 

II. La guérison

Un handicap de naissance conditionna en effet toute la vie de Marie-Louise. Son bras et sa main étaient atrophiés et la typhoïde avait encore renforcé son mal, si bien qu’elle avait fini par ne presque plus pouvoir s’en servir. Ce handicap l’empêchait de devenir religieuse comme elle le souhaitait tant. Mais elle fut guérie à Paris, par l’eau de la Grotte de Lourdes de la maison de Mme de Saint-Jean — Nazareth —, rue de Babylone.

 

Elle raconte :
« Lorsque j’eus bien prié, du moins de mon mieux, je m’apprêtai à aller baigner ma main dans la petite fontaine. Mais je m’arrêtai subitement : j’avais peur. J’aurais voulu guérir, mais le surnaturel m’impressionnait. Je comptai seulement avec une certitude intime que mon mal disparaîtrait à la fin de la neuvaine. J’étais donc là, regardant la statue de Notre-Dame de Lourdes dans sa niche et regardant la petite fontaine, sans pouvoir me décider à faire le pas décisif. Alors, de toute la ferveur dont j’étais capable, je fis cette prière avec une entière confiance :
“Ma bonne Mère Chérie, vous voyez dans quel état je suis. Si je reste ainsi infirme, on ne pourra pas me garder dans la communauté où je suis. On va encore me renvoyer à mes parents qui n’ont pas absolument besoin de moi. Mais que feront-ils aussi, si je viens à leur être à charge ? Ô vous, si compatissante pour les affligés, ayez pitié de moi. Je ne vous demande pas de m’enlever la souffrance, mais rendez-moi la main libre comme je l’avais, pour que je puisse gagner mon pain et ne pas être à charge à mes parents. Je vous promets de ne pas être ingrate si vous m’exaucez.”
Puis je me décide résolument à aller tremper ma main dans le petit bassin. Encore un nouvel arrêt. Je me retourne vers la sainte Vierge ; la pensée de Lourdes m’était revenue. “Oui, ma bonne Mère, lui dis-je, jamais, si vous me guérissez ici, je n’irai pas à Lourdes ; et moi, je voudrais tant aller à Lourdes ! Sûrement qu’on ne m’y enverra pas, si je suis guérie ici.” Je me remis de nouveau à prier, puis je me mis, comme pour me distraire, à lire les ex-voto. Il y en avait déjà trente-six. J’en retins un ainsi conçu : “A la veille de subir une grave opération, buvant de l’eau de Lourdes, je fus entièrement guérie” — ou : subitement guérie, je ne me le rappelle pas bien. Je levai alors les yeux vers la Vierge bénie et je lui dis : “Oh ! ma bonne Mère, je ne suis pas encore, moi, à la veille de subir une opération. Vous pouvez bien m’en faire autant, si vous le voulez”. Et, résolument cette fois, je plongeai la main dans le petit bassin de marbre. Mais elle était tellement enflée et noire que l’eau qu’il y avait était loin de la couvrir. J’ouvris le petit robinet et tout de suite, je m’aperçus qu’à mesure que l’eau montait, les doigts désenflaient. Je laissais couler jusqu’à ce que la main fût entièrement couverte. Au bout de quelques minutes, dans cette eau glacée mais bienfaisante que le médecin m’avait défendu de toucher, il ne me restait plus rien ; ma main était redevenue ce qu’elle était cinq à six semaines auparavant. Je la retirai et je voulus voir si je sentais les objets. Je touchais mon rosaire, je trouvais dans les poches une petite pièce de monnaie. Le premier acte que ma main fit après sa guérison, fut de mettre sans aide de l’autre, cette petite pièce dans le tronc qui est sous les pieds de la sainte Vierge. »

 

III. Religieuse à Lourdes

 

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Une fois guérie, Marie-Louise put réaliser son double rêve : être religieuse et venir à Lourdes. Les sœurs, en effet, faisaient une neuvaine pour avoir une sœur externe, lorsque Mme de Saint-Jean leur parla de sa petite protégée.
Pendant son noviciat, elle eut des accrocs de santé, mais la guérison arrivait quand elle rentrait en clôture pour se faire soigner. La prieure lui proposa donc de devenir postulante converse. Les sœurs converses venaient en général de familles de la campagne et assuraient les gros travaux dans le monastère : elles étaient moniales et vivaient en clôture. Sœur Marie de Nazareth voyait ainsi s’accomplir son vœu le plus cher.

Au terme de multiples étapes de formation, elle fit profession, le 24 septembre 1900, en présence du supérieur de la communauté, l’abbé Théas. Quelques jours avant, avait eu lieu le pèlerinage des bretons à Lourdes. Non seulement le pèlerinage de Saint-Brieuc qui avait lieu chaque année à cette date, mais le pèlerinage de tous les diocèses de Bretagne. Le 13 avait été inauguré solennellement un calvaire breton en granit offert par les pèlerins.
Ce pèlerinage annuel vaudra à sœur Marie de Nazareth des visites de son pays, en particulier celle de sa nièce Cécile.

 

IV. Quelques traits spirituels

Le merveilleux tenait une grande place dans la vie de sœur Marie de Nazareth : visions du Seigneur, paroles intérieures, attaque du diable, miracles. En 1903, lors des expulsions des religieux, elle s’offrit en offrande comme victime ; et au jour où l’expulsion devait avoir lieu rien ne se passa.
Mais tout cela était caché : sœur Marie de Nazareth remplissait ses humbles tâches de sœur converse sans que personne ne devinât sa vie cachée. Une phrase, qui revient souvent sous sa plume et sert même d’en-tête à plusieurs chapitres de ses carnets, permet de trouver la source de sa vie intérieure : « Dieu seul ».
Une vieille statue de Notre-Dame de Lourdes, immense, avait été déposée dans la pièce où elle travaillait. Elle la baptisa « Notre-Dame de Lourdes, mère du Prompt-Secours ».

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En effet, il suffisait qu’elle l’invoque pour être exaucée. Elle implorait son intercession surtout pour obtenir la fécondité aux foyers stériles. Que de petites âmes elle a ainsi arrachées, par Marie, au cœur du Père des Cieux, après dix, quinze, dix-sept ans de mariage. Les lettres de commande arrivaient de partout. Les ex-voto s’accumulaient dans le petit oratoire du Prompt-Secours, et les quarantaines se multipliaient selon le même rythme. On la rencontrait alors, marchant péniblement, traînant quelque bonne croix : « Qu’avez-vous donc, pauvre sœur, aujourd’hui ? » — « Ah ! répondait-elle en montrant sa tête douloureuse aux yeux injectés de sang, que voulez-vous ?… ce sont tous ces mioches qui sont là… » Une autre fois : « Vous me paraissez bien fatiguée ? » — « Eh oui, ne savez-vous pas que j’attends un négrillon ? »
La chose se sut et de nombreuses demandes de toutes sortes affluaient. Les ménages sans enfants, en particulier, venaient lui demander son secours : de nombreux bébés ont été obtenus par son intercession, d’où l’appellation : « la sœur des bébés ».

La statue fut finalement donnée au curé de Saint-Pierre de Côle (Dordogne) qui en cherchait une pour son église. Il envoya des photos en remerciement et un oratoire fut aménagé dans le monastère pour la photo encadrée.

L’extraordinaire qui faisait partie de l’ordinaire de la vie de sœur Marie de Nazareth s’alliait avec un grand amour de l’évangile : c’est lui qui modela sa vie. Le petit office de la sainte Vierge et le rosaire tenaient aussi une grande place et contribuèrent à approfondir son amour pour la Vierge Marie.
Le 4 août 1949, la prieure avait distribué une image de Notre-Dame du Prompt-Secours à toutes les sœurs : grande fut la joie de sœur Marie de Nazareth ! Deux jours après, une espèce d’attaque lui annonça la mort prochaine. On la porta à l’infirmerie, mais elle rassembla toute son énergie pour continuer à mener la vie de la communauté, alors que sa jambe gauche ne remuait presque plus, et elle put voir sa nièce au parloir pendant le pèlerinage de Saint-Brieuc. Elle fit aussi sa retraite de huit jours avant l’anniversaire de sa profession, le 24 septembre. Mais le 23, elle dût regagner l’infirmerie pour ne plus en sortir.
Ses derniers jours furent encore marqués par des fêtes mariales. Elle s’alita en la fête de Notre-Dame de la Merci, jour anniversaire de sa profession : le quarante-neuvième anniversaire. Le travail cessa, non la prière : ne fallait-il pas qu’elle achève la « quarantaine » commencée qui ne prenait fin qu’au jour de la fête du saint Rosaire ? Que d’intentions sollicitaient sa ferveur !
Elle pensait aux pèlerins du Rosaire, qu’elle sentait là, tout près, à la Grotte. On lui dit que le Père H. avait eu de beaux retours de foi, dans sa salle de malades et que c’était pour lui une grande consolation : « Oh ! dit-elle d’un air doucement indigné, ce n’est pas que pour lui que c’est une consolation ! » On lui avait demandé de prier pour qu’il ne pleuve pas pendant le pèlerinage. Alors, de temps en temps, on la voyait jeter un coup d’œil inquisiteur du côté de la fenêtre : « Que regardez-vous donc ? » — « Je surveille “ma pluie” ». Et de fait, la pluie resta comme suspendue.

Sœur Marie de Nazareth, la « sœur des bébés », est morte le 13 octobre 1949, à dix-neuf heures trente. Elle fut enterrée dans le cimetière du monastère, avec l’image de Notre-Dame du Prompt-Secours qu’elle avait gardée devant elle pendant toute sa maladie.
Avant de mourir, elle avait dit à la prieure : « Ma Mère, quand je mourrai, il faudra le faire mettre dans La Croix. Vous n’aurez pas tant à écrire ». Ce qui fut fait.

 

 

 

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Soeur Marie de Nazareth, La soeur des bébés
2010, 335 pages
Format A 5, ISBN: 978-2-918865-02-5, 20 €

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