Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Lire la Bible ou lire la Parole de Dieu?

La lectio divina, lecture savoureuse de la Bible, est une forme de prière qui demande une longue patience.

La tradition en indique quatre étapes: la lecture, la méditation, l'oraison, la contemplation. C'est vite dit, mais plus long à mettre en pratique. De nombreux obstacles sont à surmonter sur ce chemin dès que l'on commence à s'y engager. Des instants lumineux font pressentir qu'un texte peut devenir parole, rencontre de quelqu'un, mais ce sont souvent des instants éphémères et le texte biblique redevient sec, sans goût. Il faut dire que la lectio divina catholique se fait sur du long terme. Elle est loin de la lecture émotive, instantanée, subjective, des Evangéliques. Elle met en œuvre non seulement le cœur, mais aussi l'intelligence qui tient une grande place surtout dans le premier temps: la lecture. Il vaut donc la peine de s'y arrêter.

 

Les difficultés surgissent, en effet, dès la simple lecture d'un passage de la Bible, car le vocabulaire rencontré, le style ne nous sont pas familiers: la Bible n'est pas écrite comme nous écrivons aujourd'hui. Alors comment entrer dans la compréhension du texte tel qu'il est?

 

Autre difficulté: les livres bibliques portent la trace de l'époque à laquelle ils ont été écrits: des noms de lieux, de personnes, nous sont complètement étrangers. Leurs diverses parties ont été écrites à des époques diverses que les spécialistes peuvent déterminer, et elles en portent la marque. Alors comment comprendre des récits, quand on ignore tout des personnages et des événements qui y sont rapportés? Une introduction à la lecture de la Bible, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament est donc indispensable. On trouve d'excellents cours pour cela sur l'Internet. Ensuite, il est possible se lancer dans la lecture d'un livre biblique dans son intégralité, passage après passage, en prenant tout le temps qu'il faut pour porter sur lui un regard neuf.

 

Une autre difficulté encore est d'importance, car elle conditionne la lecture que l'on fait. Qu'est-ce que nous lisons quand nous lisons la Bible? Un texte ou la Parole même de Dieu? On entend souvent dire: je lis une Parole de Dieu chaque jour. Mais, de même qu'un texte quel qu'il soit, ne peut être une parole — un texte fait appel à la vue, tandis que la parole fait appel à l'ouïe; le texte demeure, la parole s'évanouit, etc. —, un passage de la Bible ne peut être une Parole de Dieu. De toute évidence, nous avons un livre entre les mains: c'est un texte.

Comment d'ailleurs serait-il possible d'enfermer la Parole de Dieu dans un texte? Dieu ne peut être contenu dans quoi que ce soit. Comment serait-il possible d'entendre Dieu parler en direct? Dieu est l'inaccessible; il est au-delà de toutes nos représentations. Comme le disait Grégoire de Nysse (340-394): «Dieu réside là où notre connaissance n’a pas accès. Plus les êtres s’approchent de Dieu, plus ils comprennent qu’il est incompréhensible et plus ils s’enfoncent dans les ténèbres.»

 

Il faut aussi constater que pour qu'il y ait parole, il faut une voix. Alors comment peut-on dire qu'on entend une voix lorsqu'on lit un texte? Pour le comprendre, il est bon de faire le détour par le sacrement. Dans un sacrement, par une réalité sensible, nous atteignons une réalité invisible qui nous est communiquée. Par exemple, dans l'eucharistie, nous voyons du pain et du vin et nous croyons que le Christ, Jésus, le Verbe de Dieu, est présent, qu'il se donne à voir, à toucher et à manger. Il se passe quelque chose de similaire avec la Bible. Nous lisons un texte et le Verbe, Parole de Dieu, vient dans notre cœur pour nous enseigner. Comme le dit saint Augustin, le Verbe de Dieu prend le véhicule de l'Ecriture pour venir jusqu'à nous; mais ce n'est qu'un véhicule. C'est bien que ce dit la liturgie: après la proclamation de l'évangile, à la messe, le prêtre chante en montrant le livre: «Acclamons la Parole de Dieu», et les fidèles répondent: «Louange à toi, Seigneur Jésus». C'est une personne qui est louée, la Parole de Dieu faite chair, et non le livre. La parole du prêtre qui lit l'évangile dans le livre, est le véhicule par lequel la Parole est venue jusqu'à nous.

Nous ne devons donc pas nous arrêter aux Écritures, pas plus qu’à la chair du Christ. Par la signification immédiate du texte, nous atteignons la signification spirituelle et médiate qui fait discerner en lui un enseignement sur le mystère de l’Incarnation rédemptrice, l’Église, la vie chrétienne, ou toute autre réalité de la foi (dogme, morale). Mais il ne faut pas s’y arrêter (il faut en user et non en jouir) car tous ces biens sont transitoires : ils sont le véhicule qui transporte plus loin qu’eux ; ce « véhicule » nous conduit à la vision de Dieu, à la béatitude, à la jouissance de Dieu dans l’amour. Par ces données de la foi nous sommes conduits au mystère de la divinité du Christ, au mystère des trois personnes divines, au mystère du Dieu Amour. Les Écritures ne contiennent pas autre chose que la charité : elles n’ont donc pas d’autre but que de nous unir au Dieu Amour. Tout ce qu’elles nous enseignent a pour fin cet amour.

 

En conclusion, on peut dire que le Verbe, la Parole de Dieu, pénètre dans notre oreille extérieure grâce aux Ecritures, et descend jusqu'à l'oreille de notre cœur. La Parole de Dieu ne peut pas être lue: elle n'est pas perçue par les sens de notre corps. Elle est au-delà du sensible: personne ne l'a entendue avec ses oreilles. C'est notre cœur qui en entend la résonance et nous pouvons la décrypter. Les prophètes et les auteurs inspirés ont mis par écrit les traces de l'expérience qu'ils ont faites lorsque Dieu s'est manifesté à eux, et à notre tour, grâce au sacrement de l'Ecriture, nous pouvons faire cette expérience.

 

Haut de la page